2018 mai [French]
Marc Monteleone, paysages peints à 6000 kilomètres
De retour à la figuration, Marc Monteleone expose au MAHF ses œuvresrécentes. Désormais installé au Kirghizistan avec son épouse diplomate,l’élève d’Armand Niquille peint un Fribourg à la fois réaliste et déformé parl’éloignement. Même s’il s’inscrit dans la tradition du paysage fribourgeois, il n’hésite pas à y mettre en scène des signes de modernité.
Marc Monteleone est entré en peinture il y a plus de trente ans. A une époque où Armand Niquille règne encore en maître incontesté et fait figure de mentor pour la plupart des jeunes artistes qui suivent son enseignement à Saint-Michel. Virtuose d’un hyperréalisme onirique, leFribourgeois aux origines italiennes passe maître de la vedute urbaine et désertée, peint les façades comme nul autre, ou peut-être comme De Chirico, avec qui il partage quelque aspiration surréaliste.
Marié à une femme active dans la coopération helvétique, il la suit à Washington D.C. dès 2006, puis à New York, où il se confronte à l’expressionnisme abstrait qui hante les Etats-Unis depuis un demi-siècle. Il troque ses fines spatules et sa palette d’ocres contre des pinceaux tonitruantset des couleurs saturées et criardes. On avait connu docteur Jekyll et voici que monsieur Hyde sort du chapeau. On avait apprécié la finesse du trait, le rendu éblouissant de ses lumières deToscane ou des pays de l’Est. Et voici que le même Janus peint l’exubérance, le jazz, lecrépuscule new-yorkais, avec une fougue hypercolorée et débridée. Niquille aurait eu de quois’étrangler.
Dans la Grande Pomme, une vision donne à Marc Monteleone le déclic du retour à la figuration.Anecdote: «A New York, il n’y a pas de machine à laver dans les appartements. On doit aller chez les Chinois ou à la laundrette du coin. Du coup, je lave les soutiens-gorges de mon épouse dans le lavabo de la salle de bain et la vision de ces dix sous-vêtements séchant devant le marbrem’a inspiré.» En 2016, il peint La Petite lessive et reprend goût pour un certain réalisme.
Ces fameux violets
Dans la foulée, il revient aux paysages, surtout fribourgeois, ceux de Raymond Buchs, d’Hiram Brülhart, d’Oswald Pilloud, de Louis Vonlanthen. Installé à Bichkek depuis trois ans, il s’imprègne de sa région natale, qu’il sillonne le temps de balades photographiques. De retourdans son atelier, dans cette ancienne république soviétique coincée entre le Kazakhstan et la Chine, il peint le Moléson vu de Fribourg, les Vanils depuis la route de contournement de Bulle,le même Moléson, mais à l’envers, depuis la Goille au Cerf, ou encore les falaises de la valléedu Gottéron. A 6000 kilomètres de là, il structure ses aplats au petit pinceau, ses pâturages vert-jaune au crépuscule de l’hiver, ses vieilles neiges jamais blanches, ses forêts sous la Dent-de-
Broc aux tonalités si froides qu’elles flirtent avec les violets. Ces fameux violets si chers àNiquille et à Vonlanthen, héritages de la lointaine peinture maniériste italienne.
Minirétrospective
Au Musée d’art et d’histoire de Fribourg jusqu’au 18 juillet, Marc Monteleone boucle ainsi une première boucle, comme le montre la minirétrospective à l’étage inférieur. Quel bonheur deretrouver des tableaux tels que ce Montegonzi, daté de 2004, et «cette lumière qui caresse lepaysage», ainsi que l’évoque Verena Villiger Steinauer, la directrice de l’institution. Tout comme cette alcôve dédiée aux œuvres abstraites, à la fois étouffantes et si libérées. Ou encore cette paroi d’œuvres graphiques – cartes de vœux, caricatures, dessins humoristiques – qui éclairent sur les coulisses de la création.
Surtout, Marc Monteleone montre une salle complète de paysages récents, d’une incroyablecohérence. Si sa vallée de la Monse ou sa Promenade à Morlon magnifient une nature sauvage et très pittoresque, il n’esquive pas certains éléments de modernité, souvent considérés comme laids, à l’image de fils électriques ou de panneaux de circulation, qu’il met en scène dans sescompositions. Tout comme il intègre ces étranges bâtiments sans fenêtres au premier plan d’un Moléson en majesté, que la distance lui fait voir bien plus grand qu’au naturel. Une étrangeté – comme ses nuages d’ailleurs – qui éloigne le peintre de sa première période réaliste.
Christophe Dutoit
Fribourg, Musée d’art et d’histoire de Fribourg, jusqu’au 18 juillet, vernissage ce jeudi 17mai, 18 h 30, www.mahf.ch